Paul Krugman : Pourquoi les crises reviennent toujours (Ed. Seuil)

Crise argentine, crise du baht, crise mexicaine, même combat ?

La crise économique et financière que nous traînons comme un boulet brûlant depuis 2008 continue de faire ses ravages. Une décennie en arrière, ce fut toute l’Asie qui fut frappée par une crise sans précédent. Malgré toutes les « avancées » de la théorie économique, de Keynes à Friedman, les crises continuent de poindre sous le manteau économique de nos nations, sans que l’on sache absolument les juguler. Et si notre crise actuelle n’était qu’une lointaine mais ressemblante cousine de la Grande Dépression des années 1930 ? Faisons-nous preuve d’un vaste excès de confiance ?

http://unautre.fr/about/ Effet tequila, dévaluation du bath, crise des subprimes… Autant de leçons non apprises ?

En 2003, Robert Lucas, professeur à l’université de Chicago et prix Nobel d’économie 1995, affirmait paisiblement que « le principal problème de la prévention de la dépression a été résolu en pratique ». Même Ben Bernanke, qui allait devenir le futur président de la FED, déclarait un an plus tôt que la politique macroéconomique moderne avait résolu le problème du cycle économique. Un bel aveuglement, surtout au regard des crises qui avaient éclaté quelques années auparavant, en Asie et en Amérique du Sud.

Trois mois avant que la crise tequila n’explose au Mexique, le pays était considéré comme un véritable miracle économique. Enfiévré par une vigoureuse prospérité elle-même alimentée par de nouvelles découvertes de pétrole dont le prix tutoyait les sommets, le Mexique s’était considérablement endetté dans les années 1970 et était résolument décidé à jouer dans la cour des grandes nations. Au milieu des années 1990, le pays était confronté à une sortie de devises hémorragique, et décida de dévaluer sa monnaie, mais l’opération fut bâclée et manqua surtout de franchise. Les investisseurs prirent panique et quittèrent le pays. La dette de l’Etat s’envola. Le PIB recula de 7% au cours de l’année 1995. Sans véritable connexion logique, l’ « effet tequila » alla enflammer l’Argentine. Là aussi, les réserves en dollars fondirent, le pays subit un étranglement du crédit, et la crise bancaire se propagea à l’ensemble de l’économie. Finalement, les Etats-Unis ouvrirent une ligne de crédit de cinquante milliards de dollars à disposition du Mexique, et l’Argentine fut grandement aidée par la Banque Mondiale, qui lui alloua une aide de douze milliards de dollars. En quelques mois, les deux pays retrouvèrent une certaine sérénité.

Revenons quelques années en arrière. Tandis que le Japon suscitait l’admiration de bon nombre d’observateurs dans les années 1970 grâce à sa spectaculaire industrie, le pays commença à nourrir une inquiétante spéculation immobilière, qui prit une ampleur sans précédent dans les années 1980. La dérégulation bancaire et l’arrivée du crédit bon marché avaient largement contribué à cette bulle. Lorsque la Banque du Japon releva ses taux d’intérêts en 1990, les prix ne mirent que quelques années pour retomber à 60% de leur valeur. Le pays pensait avoir percé sa bulle, or l’économie venait de débuter une longue phase d’endormissement. Une population vieillissante, une marge de manœuvre limitée pour relancer l’économie avec des taux d’intérêts retombés à leur plus bas niveau, on dit alors que le pays est tombé dans une trappe à liquidités.

Changeons légèrement de cap. En 1990, les flux de capitaux privés à destinations des pays en voie de développement représentaient 42 milliards de dollars. En 1997, ils avaient quintuplé pour atteindre 256 milliards de dollars, de plus en plus à destination de l’Asie du Sud-Est. La Thaïlande profita de l’arrivée massive de fonds de l’étranger pour développer un crédit bon marché, tandis que la spéculation financière et immobilière s’installait durablement dans le pays. Du déjà vu ? Alors que l’économie se met à ralentir, l’endettement devient insoutenable. La Banque centrale tergiverse et met de nombreux mois avant de se résoudre à laisser flotter le baht au lieu de le soutenir aveuglément.

Que nous enseignent ces crises ? Qu’ont en commun le Japon de 1990, le Mexique de 1995, la Thaïlande de 1997 ou l’Argentine de 2002 ? Bien sûr, chaque pays a ses spécificités, le problème des chaebols en Corée du Sud n’a rien à voir avec les défis démographiques du Japon. Cependant, l’on remarquera que les bulles ont souvent lieu dans les mêmes secteurs de l’économie (finance, immobilier), que le crédit bon marché favorise l’émergence de celles-ci, et que la question du maintien ou flottement des taux de changes ainsi que l’intervention massive des banques centrales en matière de liquidités ont souvent été des éléments cruciaux dans la résolution des crises.

P. Krugman compare souvent les économies à une coopérative de baby-sitting, où les membres s’échangent un nombre limité de coupons pour payer des heures de garde. Lorsque les membres « épargnent » trop de coupons en voulant être précautionneux sur leurs besoins futurs (sortir et faire garder son enfant), la demande de baby-sitting disparaît et tout le système risque de se gripper. Peu importe la qualité des biens, c’est seulement la quantité de coupons qui peut réguler le système. Pour débloquer la coopérative, il suffit de réinjecter des coupons dans l’économie. On comprendra facilement l’analogie avec la monnaie en circulation dans une économie et les banques centrales ; c’est un peu toute la magie de P. Krugman. A l’inverse, injectez trop de coupons dans la coopérative, et vous courez le risque d’une dévaluation naturelle de la valeur intrinsèque des coupons.

Pourquoi les crises reviennent toujours est l’un de ces ouvrages incontournables, à ranger parmi les classiques de l’économie. Les analogies utilisées par P. Krugman sont facilement compréhensibles et permettent de vulgariser la pensée économique, sans toutefois la trahir. Un véritable plaisir de lecture et d’analyse, dans les mains du grand public.

erstwhile Plus d’économie chez Seuil

Paul Krugman est professeur au MIT et prix Nobel d’économie 2008. Il a également publié The Conscience of a Liberal (2009) et La Mondialisation n’est pas coupable : Vertus et limites du libre-échange (2000).

Parmi les derniers ouvrages aux éditions du Seuil: Triple AAA. Audit. Annulation. Autre politique (Damien Millet, Eric Toussaint), Le Nouvel Age de la solidarité (Nicolas Duvoux).

 

Pour en savoir plus sur les nouvelles publications, rendez-vous directement sur le site des éditions du Seuil.

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