Alain Lipietz : Green Deal (Ed. La Découverte)
Au même titre que la grande crise de 1929, le marasme dans lequel nous sommes installés depuis 2007, à l’origine financier puis devenu inextricablement lié à la dette souveraine, mérite de remettre en question les fondations économiques et sociales sur lesquelles nous nous reposons aujourd’hui. Comme en 1929, il semble en effet que nous soyons arrivés au bout d’un modèle de développement, dont le creusement des inégalités, la financiarisation excessive des économies ou le gaspillage des ressources sont des symptômes parmi tant d’autres de l’épuisement général. Selon Alain Lipietz, nous avons, en conséquence, besoin d’un véritable Green Deal.
Evidemment, l’auteur est fortement marqué par la théorie de la régulation, qu’il a largement contribué à diffuser dans les années 1970, après avoir étudié les limites du modèle fordiste. Cela donne un cadre particulièrement intéressant à l’analyse de la crise actuelle, en permettant de se concentrer sur les grandes questions qui devraient accompagner la refonte du capitalisme. Quel doit être le paradigme technologique, ie comment organiser le travail au niveau productif ? Comment dépasser le modèle tayloro-fordiste ? Quel régime d’accumulation souhaitons-nous, ie peut-on continuer avec une demande de masse, standardisée ? Quelles places doivent prendre les institutions encadrantes du capitalisme telles que l’Etat ou les autorités de surveillance ? Comment les pays peuvent-ils dessiner une nouvelle formation socio-économique, en compatibilité avec leurs voisins, dans un cadre aussi mondialisé ?
Cette crise du modèle libéral-productiviste aura désarçonné plus d’un économiste. Une attitude étrange, car, dans le fond, les explications de l’effondrement et les contradictions internes du capitalisme sont déjà connues par les économistes depuis le XIXème siècle (dont Ricardo et Marx). Première contradiction connue : l’aveuglément répété. La période des Roaring Twenties (les années folles, les années 1920), ne préfiguraient-elles pas, à travers une croyance déjà superstitieuse dans la puissance autorégulatrice des marchés, de ce qui allait se passer en 1929 ? N’est-ce pas la même intoxication intellectuelle qui avait conduit à la crise de 1848, ou qui nous a plongés dans celle d’aujourd’hui ? Autre contradiction, et non des moindres pour un auteur dont la plume est empreinte d’écologie : l’épuisement des ressources agricoles. Nous savons tous que la crise des subprimes fut en partie déclenchée par le non remboursement des prêts hypothécaires de la part des ménages américains les plus pauvres. Ces foyers, dans une volonté messianique d’accession à la propriété voulue par les administrations Clinton et Bush, avaient en effet pu bénéficier de prêts à taux variables, adossés à la valeur de leur bien immobilier. Jusqu’aux non-remboursements en cascade, qui mirent en péril les grandes institutions bancaires prêteuses, et in fine, tout le système financier. Mais peu de personnes posent la question la plus importante : pourquoi ces ménages n’ont-ils pas remboursé leurs crédits ? Que s’est-il passé pour qu’au-delà d’un relèvement des taux variables par les banques, ceux-ci soient acculés à la faillite et se dirigent d’eux-mêmes vers l’expropriation ? Selon A. Lipietz, la véritable racine du mal est à trouver du côté du prix des denrées alimentaires. Des dépenses incompressibles pour n’importe quel foyer, qui malheureusement ne firent que progresser aux quatre coins du globe, dès les premières années 2000. Cependant que des émeutes de la faim éclatèrent autour de la Méditerranée, les ménages américains, eux, décidèrent tout simplement de ne plus rembourser leurs dettes, pour payer l’essence ou remplir le réfrigérateur. Une sorte de « crise d’ « Ancien Régime » à la Braudel-Larousse ».
Face à l’urgence, un Green Deal s’impose, avec des composantes allant, en réalité, bien au-delà de l’écologie. L’époque est par ailleurs propice à un chamboulement, étant donné que toutes les cartes sont redistribuées sur l’échiquier économique et politique à travers le monde. A. Lipietz propose donc une nouvelle régulation financière et budgétaire, un repartage de la valeur ajoutée, un régime tiré par l’investissement vert, afin d’accompagner la planète vers une grande transition économique, alimentaire et énergétique. Une année d’erreurs économiques n’est rien en comparaison d’une année d’erreurs écologiques. Dans le premier cas, les bévues s’estompent après quelques mois ou quelques années. Dans le second, la Nature peut ne pas pardonner avant des siècles, comme en témoigne les gaz à effet de serre et le réchauffement planétaire inexorable.
Alain Lipietz est un économiste français, ancien député Vert européen. Il est l’un des chefs de file de l’école de la régulation, en compagnie d’auteurs tels que Michel Aglietta, André Orléan, Bernard Billaudot, Robert Boyer, ou Benjamin Coriat.
Parmi les derniers ouvrages chez La Découverte : Regards croisés sur l’économie, n°9 : Pour sortir de la crise du logement (Ouvrage collectif), Economie du bonheur (Lucie Davoine).
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