Philippe Herlin : Repenser l’économie (Ed. Eyrolles)

Les fractales en finance

L’avènement de la crise des subprimes et la multiplication des soubresauts sur les marchés ces dernières années ont constitué un formidable terreau de réflexion pour les économistes et les penseurs de la finance. De nouveaux courants, de nouveaux auteurs jusqu’ici confinés à des rôles de philosophes extravagants ont acquis une renommée internationale, grâce à leur lecture des risques sous-jacents à notre système économique. Philippe Herlin dresse ici un état des lieux intellectuels de grande qualité.

socially De la redécouverte des fractales de Mandelbrot à l’apologue de la dame de Condé

Tous les experts des marchés vous le diront : les gaussiennes sont un élément absolument indispensable de la modélisation financière et des risques, une conception hautement romantique de la vie et de ses aléas, mais elles sont naturellement et profondément imparfaites. Pourtant, en dépit des efforts mathématiques réalisés pour tenir compte de la survenance d’éléments extrêmes, elles continuent d’être utilisées à foison dans les systèmes prédictifs, les équations et les raisonnements de toute la profession. Ce qu’attaquent aujourd’hui des auteurs médiatisés tels que Nassim Taleb.

Philippe Herlin fait bien de rappeler que la remise en cause d’une pensée largement répandue, comme celle de la « normalité » pour l’évolution des prix des actifs financiers, peut se faire dans la douleur. Lorsque Mandelbrot présente ses fractales à la profession, dans un congrès de décembre 1962, tentant d’approcher l’évolution du prix du coton par des lois extrêmes, sa découverte suscite fascination et… oubli plus ou moins volontaire. Le hasard gaussien, ce modèle classique à l’usage si facile, est bien trop ancré dans les gênes des professionnels de la Bourse.

Même un illustre mathématicien comme Louis Bachelier, l’un des penseurs de la finance moderne, fut royalement ignoré avant d’être redécouvert près de soixante ans après ses travaux sur les lois de probabilités s’appliquant aux actifs financiers. Markowitz, Sharpe, Black, Scholes, Merton, Fama, etc., tous s’appuient sur la thèse de Bachelier.

Ce que propose Philippe Herlin à travers Repenser l’économie est donc un formidable travail d’introspection, et de remise en valeur de penseurs ignorés de l’économie et de la finance, et de nouveaux penseurs à ne pas frapper du sceau de l’ignominie et de l’incompréhension. L’auteur s’intéresse à la façon dont Mandelbrot a fait sauter le « corset » gaussien en introduisant les fat tails – ces événements extrêmes dont la survenance n’est pas aussi rare qu’on veut bien le laisser penser, et les lois de puissance – tenant bien plus compte des inégalités de notre monde.

Les démonstrations mathématiques sont pensées pour le grand public, et ne noient jamais le lecteur sous un jargon incompréhensible ; les illustrations de la vie quotidienne affluent pour appuyer les thèses des grands mathématiciens. L’exemple du Monopoly est d’ailleurs éloquent pour décrire la différence entre les deux modes de pensées. Dans la première phase du jeu, celle où les joueurs achètent les terrains, la répartition de ceux-ci, sur plusieurs parties, est assez égale, et l’on ne peut pratiquement pas faire faillite. Le monde ainsi traversé est plutôt gaussien. Dans la réalité, un casino fonctionne sur le même principe. En revanche, la seconde partie du jeu, celle où les joueurs se livrent à une véritable bataille immobilière, est pensée pour pousser ces derniers à la faillite. Rapidement, les mieux dotés accumulent l’argent du système, l’argent va à l’argent, l’inégalité devient extrême, elle est même la norme. Le monde est devenu bien plus risqué, dans ses fondations. Ce qui pousse P. Herlin à conclure sur une évidence qui ne l’était pas il y a encore quelques années : « la finance n’est pas un casino, mais plutôt un Monopoly rempli de maisons et d’hôtels » ! Autre question magistrale, qui en découle : comment transformer l’un des deux paradigmes ? A travers la création monétaire. Si chacun des joueurs touchent vingt fois plus d’argent en passant par la case départ, alors le risque de faillite s’éteint. Les Banques centrales, dans la vraie vie, n’auraient-elles pas la tentation de cet arrangement excessif ?

Avec la crise de 2008, ce sont les fondements de la pensée classique qui sont ébranlés, alors même qu’ils semblaient déjà discutables. L’on se rend alors faussement compte que les agents ne sont pas rationnels, qu’ils ne sont pas homogènes (ils ne partagent pas tous la même information), que les variations des cours de Bourse ne sont pas continues (il y a des sauts), que les chutes en Bourse peuvent atteindre des niveaux statistiquement extrêmes, bien loin des théories gaussiennes, que les modèles financiers sont simplement rafistolés. Mais les approximations ne sont pas légion uniquement dans le monde de la finance. La financiarisation excessive de l’entreprise, l’endettement aveugle des Etats, les mesures budgétaires extravagantes (pourquoi 3% de déficit budgétaire par rapport au PIB devrait-il être la barrière maximale ?), la monétisation démesurée des dettes sont également attaqués dans l’ouvrage.

http://comvicente.pt/?borw=aplicativo-para-quem-quer-namoro-serio Qu’est-ce que les fractales ?

Depuis toujours, les mathématiques raisonnent dans un univers euclidien composé de formes parfaites et lisses : droites, plans, cubes, sphères, etc. Pourtant, regardons autour de nous, demande Benoît Mandelbrot : « Les nuages ne sont pas des sphères, les montagnes ne sont pas des cônes, et l’écorce n’est pas lisse, pas plus que l’éclair ne se propage en ligne droite. »

Philippe Herlin, Repenser l’économie, Chapitre VIII – La notion de fractale, p. 131

Le livre de Philippe Herlin ne s’arrête évidemment pas à ces considérations habituelles, particulièrement médiatisées aujourd’hui. Il s’intéresse également à des sujets philosophiques très anciens. L’on sera heureux de redécouvrir la quête de la vérité si chère à Platon ou Nietzsche pour un parallèle avec la recherche du prix des actifs financiers, ou les processus de formation des prix chers à Aristote et Paul Jorion.

Les ouvrages économiques, à de rares exceptions près, ne deviennent que rarement des best-sellers. Pourtant, certains débordent de mérite. Pas forcément parce qu’ils sont des pionniers de la pensée, mais simplement parce qu’ils permettent de l’éclairer, de l’illustrer à travers des auteurs trop fréquemment oubliés. Ils permettent de partager les connaissances auprès du grand public, favorisant la compréhension du monde qui nous entoure, et des grands débats qui continueront de nous accompagner. En popularisant les théories fractales, Repenser l’économie est l’un de ces ouvrages.

http://olhg45.fr/?kaption=rencontre-amicale-dubai&c8e=6a Plus d’économie chez Eyrolles

Philippe Herlin est chercheur en finance et chargé de cours au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM). Il est l’auteur de France, la faillite ?, et de Finance, le nouveau paradigme.

Parmi les derniers ouvrages chez Eyrolles : Les 7 clés du marketing durable (Elizabeth Pastore-Reiss), Les villes et les formes (Serge Salat, Françoise Labbé, Caroline Novacki).

 

Pour en savoir plus sur les nouvelles publications, rendez-vous directement sur le site des éditions Eyrolles.

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