François Crouzet : Histoire de l’économie européenne, 1000-2000 (Ed. Albin Michel)
Prolongeant le sillon creusé par d’illustres prédécesseurs tels que Fernand Braudel, Marc Bloch ou Lucien Febvre, François Crouzet signe à travers son Histoire de l’économie européenne une synthèse remarquable de notre continent, livrée quelques années seulement avant sa disparition. Un ouvrage fourmillant de détails, et qui s’avèrera absolument indispensable pour qui souhaite redécouvrir l’industrialisation de notre Continent, ainsi que les différentes phases d’innovation qu’ont connues nos lointains ancêtres.
Paradoxalement, l’œuvre – considérable1 – de notre François Crouzet national a longtemps penché du côté de nos voisins britanniques. Non sans mérite d’ailleurs, puisque ce dernier est aujourd’hui reconnu à travers le monde comme l’un des plus savants connaisseurs de leur histoire économique. Dans ce qui constituera donc l’un de ses derniers ouvrages, place est faite à cette grande Europe, caractérisée par une diversité atypique – paysages, climats, ressources naturelles, langues. Une diversité qui, encore aujourd’hui, contribue avec son charme particulier à faire du Continent une zone de fragmentation politique, « qui peut être considérée soit comme un facteur de progrès, soit comme une cause de désastres », comme le rappelle dès le départ l’auteur.
Si celui-ci s’intéresse dans les premiers chapitres aux formidables inventions précédant et accompagnant la révolution industrielle, les derniers chapitres, suivant de plus près le dernier siècle, font surtout état du délabrement macroéconomique auto-infligé de l’Europe à travers ses deux grandes guerres mondiales. L’ouvrage ravira les étudiants, en particulier les préparationnaires, mais également tous les curieux de l’histoire de l’Europe. Il s’agit, en somme, un ouvrage exceptionnel.
diffidently L’émergence d’une économie européenne. Xe-XIIIe siècles. En première partie, François Crouzet esquisse l’émergence de cette économie européenne, devenue une réalité à la fin du XIIIème siècle. Après la dislocation de l’Empire carolingien en 843, « le rêve d’un « royaume d’Europe » s’évanouit », et le continent ne sera alors plus jamais soumis à un seul maître. Un véritable ciment, facteur d’avancées remarquables mais également de conflits. « La pluralité des centres de pouvoir, la décentralisation des décisions, qui sont devenues caractéristiques de l’Europe, ont leurs racines, tout comme les systèmes juridiques européens, aux époques carolingienne tardive et postcarolingienne, et elles devaient leur survivre ». S’en suit une véritable expansion démographique, du Xe au XIIIe siècle (et non une explosion), couplée à un système de seigneurie en perpétuelle amélioration, un défrichement des terres, la naissance des villages au sens européen du terme, l’amélioration de la charrue, la technique de l’assolement triennal, le tout favorisant extraordinairement le commerce… Une formidable période qui fit d’ailleurs dire à un autre historien, David Landes, loin des stéréotypes sur les agriculteurs arriérés, que « l’Europe médiévale fut « l’une des sociétés les plus inventives que l’histoire ait connues », une société qui fit en quelque sorte l’ « invention de l’invention » ». Les villes, longtemps cantonnées à des « fonctions militaires, politiques, religieuses, plutôt qu’économiques » se développèrent également, favorisant l’agriculture (débouchés) et l’artisanat. Si vers 1300 le taux d’urbanisation de l’Europe reste faible (10%), l’on assiste déjà à l’apparition de grandes villes telles que Paris (200 000 habitants) ou Londres (80 à 100 000 habitants).
Le XIIIe siècle marquera par ailleurs l’avènement des foires et d’un marché européen, ce que F. Braudel ne manqua pas de qualifier, par sa célèbre expression, d’ « économie-monde ». Enfin, « Marc Bloch, tenant compte d’autres innovations – dont la monnaie métallique », a pu parler d’une « révolution monétaire » du XIIIe siècle ». On le comprend donc dès le premier chapitre : ce premier pan de l’histoire économique européenne est fondamental, car c’est non seulement la société tout entière qui se transforme, mais c’est également une activité économique et technologique foisonnante qui se met en place.
Pruszków Changement et continuité dans l’économie européenne. XIVe-XVIIIe siècles. Dans cette seconde période, François Crouzet s’attache à montrer à quel point l’Europe jouera son rôle de moteur du développement et de la modernité, bien que la plupart des inventions aillent dans le sens d’une continuité, plutôt que d’une rupture, à travers des améliorations plus que des innovations fondamentales. Et l’auteur de souligner les nombreuses innovations dans le domaine de l’énergie et des métaux, dont l’invention de l’imprimerie avec des caractères amovibles en plomb (Gutenberg, 1453). L’époque marque également le développement des lettres de change, des banques, l’apparition des billets de banques, ainsi que la création de la première bourse à Anvers (1531), avancées fondamentales dans l’essor du monde des affaires. Autant de créations qui subsistent brillamment aujourd’hui !
A cela s’ajoutent les « grandes découvertes », lesquelles eurent une portée unique pour l’économie européenne, le commerce avec les Amériques générant des opportunités nouvelles. François Crouzet revient d’ailleurs sur l’apport des colonies dans l’économie des colons, soulignant au passage que si celles-ci furent positives pour les britanniques et les hollandais, le coût de leur entretien fit qu’elles s’avérèrent négatives pour des pays comme la France, l’Espagne ou le Portugal, contrairement aux idées reçues.
Un autre phénomène propre à cette période et bien connu des historiens fut « l’essor des industries rurales, qui étaient à la fois capitalistes et « domestiques », notamment avec marchands-fabricants qui pouvaient employer des centaines de personnes dans un salariat avant l’heure, chez eux, en particulier dans les métiers à tisser. Franklin Mendels lui donna le nom célèbre de « proto-industrialisation ». Comme le fait remarquer François Crouzet, « la proto-industrialisation se développa surtout dans des régions où une population rurale dense avait besoin de compléter les revenus qu’elle tirait de l’agriculture (…) Mendels et Charles Tilly considéraient que la proto-industrialisation « préparait l’industrialisation proprement dire », c’est-à-dire l’industrie mécanisée et concentrée en usines ». Par la clarté de la plume employée, et les nombreux détails fournis, le lecteur se croirait par moments plongé au cœur de l’atelier du paysan tisserand.
Malgré tout, l’Europe connaît en son sein des problématiques à la fois intéressantes et difficiles, comme le basculement des centres de puissance économiques (d’Anvers à Amsterdam puis Londres) et les rivalités militaires, une économie agricole au poids écrasant mais à faible productivité, et des crises malthusiennes, avec une population tendant à augmenter plus vite que la production de subsistances, ou les ravages de la Peste noire (un tiers de la population disparaît entre 1347 et 1350, soit 25 millions de personnes sur un total de 80).
L’âge de l’industrialisation. Vers 1770 – 1914. Place désormais à la Révolution industrielle, ce que C. Cippolla osa qualifier de « rupture la plus importante dans l’histoire de l’humanité depuis le Néolithique ». François Crouzet inscrit le démarrage de cette révolution aux années 1780 et 1790, avec la « jonction de deux grands sous-systèmes d’innovation technologique : celui des machines textiles, d’une part, celui des industries minières et métallurgiques, d’autre part, qui avait produit la machine à vapeur ». En premier lieu, le changement le plus évident fut bien évidemment cette formidable mécanisation, à travers la machine à vapeur certes, mais également via les machines à filer le coton (la fameuse spinning jenny). En second lieu, l’auteur cite la substitution des matières premières organiques par des matières minérales, à l’instar du coke (houille purifiée) qui remplaça le charbon de bois. Le troisième aspect de cette révolution fut incontestablement l’utilisation croissante des machines à vapeur, avec les premiers modèles construits par Savery et Newcomen autour de 1700. Des inventions bien ancrées dans l’imaginaire collectif, encore aujourd’hui.
Par ailleurs, François Crouzet s’attache à souligner l’importance du Factory system, innovation majeure en matière d’organisation, avec des usines rassemblant dans les mêmes bâtiments un grand nombre de machines et de travailleurs, une source unique d’énergie (par exemple, une machine à vapeur), et une division du travail. Les filatures de coton à l’instar de celle d’Arkwight sont des exemples typiques.
Cependant, l’auteur se range plutôt du côté des gradualistes, qui voient en la Révolution industrielle un processus lent, prolongé, fragmenté, plutôt qu’un cataclysme.
Quant à savoir pourquoi l’Angleterre fut la première à s’inscrire dans cette révolution, François Crouzet cite une orientation vers l’économie de marché plus poussée qu’ailleurs – à l’exception de la Hollande, une agriculture résolument capitaliste, mais également la richesse du capital humain, avec une « société créative technologiquement » (J. Mokyr), une forte culture entrepreneuriale, une « éthique de l’amélioration » (P. O’Brien). A ce titre, il est intéressant de noter que l’abondance de la houille en Grande-Bretagne et son champ des possibles, véritable avantage comparatif, a largement influencé les esprits curieux et bricoleurs. Par ailleurs, l’essor d’un secteur financier efficient et prospère fut rendu possible par la présence d’un Etat fiscalo-militaire fort, soucieux de financer ses longues guerres par l’emprunt. Au niveau institutionnel enfin, la Grande-Bretagne jouissait d’un système juridique stable avec respect des contrats, et d’une « monarchie limitée par les pouvoirs importants que possédait le Parlement », dominé par l’aristocratie, laquelle était encline à favoriser le développement économique. Autant de facteurs qui constituent pour François Crouzet les clefs de la Révolution industrielle dans ce pays.
Reste désormais à savoir comment s’est diffusé le modèle anglais sur le Continent, dès 1800. F. Crouzet se place du côté des diffusionnistes, dans la mesure où il considère que l’industrialisation du Continent fut le résultat d’un processus d’imitation, ou plutôt ce que l’auteur appelle un « processus d’adaptation créative ». Le lecteur français sera ainsi ravi d’apprendre que ses illustres ancêtres ne se contentèrent pas d’espionner, ils furent à l’origine de nombreuses autres inventions (métier à tisser Jacquard, procédé Leblanc pour produire de la soude etc.).
Outre la Révolution industrielle, le Continent connut d’importants changements au niveau politico-économique, en témoigne la création en 1834 du Zollverein en Allemagne, sorte d’union douanière, qui « donna une vigoureuse impulsion à l’industrie et à la construction des chemins de fer ». « La Grande-Bretagne libéralisa peu à peu son système douanier à partir de 1828, puis se convertit franchement au libre-échange dans les années 1840 », avec même un premier traité de commerce avec la France en 1860. Comme le fait remarquer judicieusement François Crouzet, « Jusqu’à 1914, le commerce intra-européen jouit d’une liberté et d’une expansion qui ne devaient pas revenir avant la formation du Marché commun ». Soit près de huit décennies plus tard !
Au rang des innovations spectaculaires, comment ne pas citer les chemins de fer, avec la première « grande ligne », de Liverpool à Manchester, ouverte en 1830, même si les historiens modèrent souvent leur impact sur l’économie du continent. Parallèlement à cela, de grandes banques voient le jour, et certaines d’entre elles sont toujours dans l’imaginaire français, telles que la Société Générale (fondée en 1822), le Crédit Mobilier (fond par les frères Pereire en 1852), ou la Banque de Paris et des Pays-Bas (connue de nos jours comme Paribas, fondée en 1872).
Le développement économique ne fut bien entendu pas le même selon les régions. Pourtant, dans l’ensemble, les progrès s’avérèrent très importants. En fait, « selon Paul Bairoch, le PNB réel de l’Europe (Russie comprise) augmenta de 1800 à 1913 à un taux moyen d’1,7% par an – c’est-à-dire qu’il quintupla. Pour ce qui est de la production industrielle, son taux de croissance de 1830 à 1913 serait de 2,6% – contre 1% pour la production agricole – ce qui montre que l’industrie était le secteur moteur ». il est bon de préciser que cette croissance ne fut pas linéaire, elle suivit plutôt des cycles intradécennaux, dits de Juglar.
La création du mark en 1875 marque enfin une avancée notable du système monétaire européen, avec l’adoption du monométallisme via l’étalon-or. « En 1900, tous les pays dont le commerce extérieur était important l’avaient adopté », souligne F. Crouzet. Les échanges, ainsi que la confiance, en furent favorisés. L’on sent, dès les dernières feuilles de ce chapitre, à travers des noms aussi familiers que ceux des grandes entreprises citées par l’auteur, à quelle vitesse le moment présent se rapproche, ce qui est un sentiment permanent lors de la lecture de l’ouvrage.
Désastres, renaissance, déclin. 1914 – 2000. Pour la France, l’une des premières conséquences de la guerre fut sans aucun doute démographique : un million et demi de tués, soit 14% de la population masculine des 15-50 ans. La relative balkanisation de l’Europe porta également un coup sérieux aux synergies industrielles entre les régions, notamment en Autriche-Hongrie. Mais, « le plus grave problème qui résultat des traités de paix fut celui des réparations ». Les sommes demandées à l’Allemagne équivalait à trois fois son PNB de 1913, le pays était bien loin d’avoir les capacités de rembourser ce qu’on lui imposait. De la même manière, la France et d’autres pays ne pouvaient rembourser ce qu’ils devaient aux Etats-Unis, si on ne leur payait pas les réparations. Déjà bien endettés, l’on notera que la plupart des belligérants avaient eu recours à la création de monnaie, avec tous les risques en matière d’inflation que cela signifiait. L’on se souviendra d’ailleurs de la période d’hyperinflation allemande en 1922-1923, traumatisante, et à l’origine de nombreuses précautions aujourd’hui, lors des grandes négociations européennes.
Cette forte insécurité politique et monétaire n’était donc pas sans conséquence sur les économies du Continent : les crises furent aggravées. Comme le note l’auteur, « pour la première fois [d’ailleurs], des monnaies nationales étaient devenues l’objectif d’attaques par les spéculateurs », et la Suisse devint en quelque sorte un pays refuge pour les capitaux.
Au niveau monétaire, la répartition des stocks d’or étant devenue très inégale, les gouvernements adoptèrent le système d’étalon de change-or (conférence de Gênes, 1922).
Au niveau purement économique enfin, François Crouzet divise l’entre-deux-guerres en quatre sous-périodes. 1919-24 : le cadrage. Au sortir de la guerre, le PNB réel de l’Europe est inférieur de 20% à ce qu’il était en 1913. La reprise fut lente. Ce n’est qu’en 1924 que la production industrielle de l’Europe retrouva son niveau de 1913. 1925-29 : une courte prospérité. Après l’hyperinflation, le Reichsmark fut adopté en 1924, et les Allemands purent payer à nouveau les réparations. Le PNB par tête progressa à un taux de 2,8% par an, de 1922 à 1929. 1929-35 : la grande crise. Tandis que les Etats-Unis s’enfoncèrent brutalement dans la crise, rapatriant leurs capitaux dès 1928, l’Europe ne commença à paniquer qu’en 1931, avec une série de faillites bancaires. La dépression des années 1930 fut la plus sévère de l’histoire européenne. « De 1929 à 1932, la production industrielle baissa de 27% (..) et revint à son niveau de 1913 ; le PNB recula de 12% ». 1935-38 : la reprise. Dès 1935, quelques pays dont la Grande-Bretagne et l’Allemagne connurent une quatrième phase, de reprise. « En 1935, le PNB de l’Europe était revenu à son niveau de 1929 et en 1937-38, il le dépassa de 10% ».
Malgré un marasme marqué, l’entre-deux-guerres fut néanmoins une période riche en avancées économiques ou sociétales, avec l’avènement du taylorisme et du fordisme, les prémices de la consommation de masse, la propagation des voitures en Occident, la réduction du travail hebdomadaire, et des améliorations notables de la protection sociale. Malheureusement, elle vit aussi apparaître un phénomène nouveau : le chômage de masse, frappant déjà les travailleurs des « vieille » industries (houille, acier, constructions navales, textiles).
François Crouzet ne faisant pas l’impasse sur les guerres proprement dites – bien qu’il ne s’y attarde pas outre mesure, le lecteur pourra par exemple découvrir les rouages de l’économie allemande durant la guerre, et ses conséquences sur ses pays voisins, en particulier les indemnités payées par la France, les raisons du protectorat de Bohème-Moravie, mais également l’intégration plus ou moins voulue des pays restés neutre, dans l’ « Ordre nouveau » de la machine de guerre allemande.
La seconde guerre mondiale finie, les chiffres macroéconomiques sont de nouveau éloquents. « Le PIB de l’Europe (U.R.S.S. exclue) était en 1946 inférieur de 19% à son niveau de 1939, alors que de 1913 à 1920, il avait diminué de 15%. Dans quelques pays, la production de 1945 était tombée à la moitié de celle de 1938 (…). L’Europe était devenue une naine, dans un monde dominé par deux géants – les Etats-Unis et l’U.R.S.S. ».
Il suffit pourtant d’à peine cinq ou six ans pour que le Continent fût reconstruit, et que la production ou les revenus par tête ne retrouvent leur niveau d’avant-guerre. Les Etats-Unis ne furent pas étrangers à ce redressement spectaculaire, que ce soit via la suppression de la dette contractés par les pays européens, ou via le fameux « plan Marshall » (23 milliards de dollars en 1953). La sortie de guerre marque également l’avènement du système de Bretton Woods, et la naissance d’une Europe unie, gage de prospérité et de paix, à travers le plan Schuman (1950), la Communauté du charbon et de l’acier (CECA, 1951), et le traité de Rome qui créa la communauté européenne (CEE ou le « Marché commun, 1957). En matière d’union politique, la position de François Crouzet est d’ailleurs intéressante, puisque l’auteur n’hésite pas à dire que « ce fut une erreur que de ne pas créer à chaud une Europe fédérale, des « Etats-Unis d’Europe », en abolissant d’un seul coup les Etats nationaux ». Combien seraient-ils aujourd’hui à partager une telle position ?
Commence dans les années 1950 une embellie économique unique : les « Trente Glorieuses » (1950-1973) offrirent à l’Europe un taux de croissance du PIB de 4,6% par an, cependant que le chômage tombait à un de ses plus bas niveaux, 2,4% en moyenne de la population active dans 12 pays du cœur de l’Europe. Selon E. F. Denison, les deux tiers de cette croissance résultaient d’une meilleure productivité, elle-même liée à des transferts de technologie aptes à satisfaire la nouvelle consommation de masse. L’époque révèle en outre la progression des sociétés multinationales (SMN) et des investissements directs à l’étranger. « Au total, en 1973, la Grande-Bretagne, l’Allemagne de l’Ouest, la Suisse, la France et les Pays-Bas possédaient 4 607 SMN – 49% du total mondial ». Ces SMN favorisèrent l’apparition et l’expansion des « eurodollars ».
Mais voilà qu’en 1973, la machine économique européenne s’arrête, sous les coups de butoirs du premier choc pétrolier, avant de s’enfoncer une nouvelle fois quelques années plus tard, en 1979. « Pendant la période 1973-1996, les taux de croissance de la production et de la productivité furent en gros seulement la moitié de ceux de l’âge d’or », et le chômage grimpa jusqu’à près de 9% en 1990 dans les pays de l’OCDE. Le ralentissement est évident, tout comme la désindustrialisation, en particulier dans les régions houillères ou textiles. Le mal que pressentait François Crouzet à la fin des années 1990 est une réalité : l’Europe peinait déjà à investir en recherche et développement, et était loin d’égaler les investissements de hautes technologies décidés par les Etats-Unis.
Alors même que l’ouvrage fut initialement rédigé en 2000, François Crouzet aborde déjà les spécificités du capitalisme rhénan, le problème des marchés du travail rigides et des systèmes de protection sociale aux coûts exorbitants prévalant en Europe.
Enfin, l’un des derniers pans abordés par l’auteur, et non des moindres, qui viendra clore cet ouvrage est la signature de l’Acte unique (1986) qui prévoyait l’abolition de toutes les barrières qui subsistaient entre les 12, ainsi que la création d’une monnaie européenne unique pour 1999. Ce que ne pouvait pas savoir François Crouzet, c’est que le respect de certains des critères de Maastricht, dits de convergence, tels qu’un déficit budgétaire inférieur à 3% du PNB, une dette publique inférieure à 60% du PNB, allait s’avérer être une tâche plus que difficile, voire franchement peu respectée, par les pays fondateurs de l’Union. Pour les conséquences que l’on connaît aujourd’hui.
Plus d’économie chez Albin Michel
François Crouzet (1922 – 2010) est l’un des historiens les plus respectés du paysage français, et grand connaisseur de l’économie britannique. Il est l’auteur de De la supériorité de l’Angleterre(1999), La Grande Inflation (1993), L’Economie britannique et le blocus continental (1987).
Parmi les derniers ouvrages chez Albin Michel : Le bûcher des vaniteux (Eric Zemmour), Nous sommes des sang-mêlés : Manuel de civilisation française (Lucien Febvre, François Crouzet).
Pour en savoir plus sur les nouvelles publications, rendez-vous directement sur le site des éditions Albin Michel.
1. (fr) Jean-Pierre Pousson, In memoriam François Crouzet (1922- 2010), Cairn.info