Gabriel Colletis : L’urgence industrielle ! (Ed. Le Bord de l’eau)
L’industrie est sale, elle appartient au passé, et seule la tertiairisation nous sauvera, véritable gage de modernité. Les maux dont souffre notre pensée actuelle sont terribles. Et si les racines de la crise n’étaient pas uniquement financières, mais qu’elles remontaient jusqu’à la place restreinte que nous accordons à notre industrie ? Comment ressusciter la richesse perdue des nations ? N’est-il pas temps de redonner ses lettres de noblesse à l’industrie ?
C’est que l’industrie, cette « habileté à exécuter » quelque chose en vieux français, joue un rôle fondamental dans l’économie, et l’on aurait tôt fait de l’oublier. Alors, certes, la productivité des pays occidentaux ne protège plus ces derniers d’une concurrence internationale féroce, de plus en plus basée sur les bas salaires. Mais la véritable clef de la réussite n’est-elle pas dans les capacités d’innovation plus que dans la recherche de la sacrosainte productivité ?
Un chiffre résume probablement la mauvaise route que prennent les partisans d’une tertiarisation à outrance. Entre 1950 et 2000 rappelle Gabriel Colletis, « les échanges mondiaux en volume ont été multipliés par 6 pour ce qui est des produits agricoles, par 9 pour les matières premières. Les échanges de produits manufacturés pendant la même période ont été multipliés par… plus de 40 ! ». Si aujourd’hui les politiques semblent avoir compris l’importance de l’industrie, force est de constater que les méthodes recherchées pour la restaurer sont parfois hésitantes, voire contre-productives. La plupart du temps, les hommes politiques pensent qu’une plus grande flexibilité du travail (comprenez une baisse des salaires et une augmentation des formes de contrats précaires) devrait restaurer la compétitivité de nos fleurons. Une telle politique restaurera certes les profits, mais elle aggravera aussi le mal emploi et il demeure hautement incertain qu’elle fasse du bien aux entreprises sur le long terme. En jetant un coup d’œil de l’autre côté de notre frontière, on comprendra aisément que si la croissance allemande est si forte, malgré des coûts salariaux élevés, c’est justement parce qu’elle s’appuie à la fois sur une base productive puissante et sur un marché intérieur bien exploité – et pas seulement extérieur.
Il est certain que « l’internationalisation puis l’extraversion des grands groupes, la financiarisation des stratégies », les délocalisations et une inadaptation des politiques économiques ont conduit l’industrie sur le déclin. Mais ce sont avant tout deux facteurs profonds qui ont anémié le tissu productif selon l’auteur : les gains de productivité et la faiblesse de la croissance. Le premier a sapé le marché du travail, et le second a érodé l’investissement. Les conséquences du déclin sont très graves et font ressortir chaque jour un peu plus la schizophrénie d’un Etat français autrefois défenseur de ses champions nationaux et vivant aujourd’hui dans la peur de ne plus pouvoir les retenir, soulignant au passage le peu de poids restant à ce dernier sur la politique de développement. Pis, sentant l’industrie s’échapper, l’Etat s’est lancé dans une course effrénée à la déréglementation du travail, persuadé que celui-ci ne pouvait être qu’un coût ou une charge. Une telle conception des employés est néfaste en ce qu’elle nie leurs compétences ainsi que leur droit à la formation professionnelle ; il devient logique de voir que les groupes industriels rechignent à investir dans leurs salariés.
Alors, comment relancer l’industrie ? Gabriel Colletis analyse plusieurs pistes : « un changement de perspective concernant le travail, la reconnaissance des compétences des travailleurs, le développement de productions socialement utiles et préservant la nature, et l’ancrage des activités dans les territoires ». Dans le fond, l’auteur tente de montrer que l’on peut réconcilier le progrès social et le développement économique, deux branches d’une même matrice que les politiques ont clivées depuis plusieurs décennies déjà. Pour arriver à cela, une bonne dose de démocratie devrait être réinsufflée au cœur du capitalisme. Deux exemples historiques peuvent appuyer ce raisonnement : le New Deal engagé à partir de 1933 aux Etats-Unis, et la planification française à partir de 1946 qui aura relevé rapidement notre pays. Peut-on encore s’en inspirer aujourd’hui ?
De nombreux articles de presse et travaux d’experts viennent étayer ce remarquable travail de recherche effectué par Gabriel Colletis. L’auteur s’efforce de dresser un constat sans ambages de l’industrie française, non pour le plaisir de la critiquer, mais pour établir un véritable travail de réflexion et de refondation. La crise économique et financière que nous traversons est également sociale. Comme toute crise, celle-ci génère également des opportunités nouvelles. Il n’est pas inutile de rappeler que le New Deal et le Plan Français ont vu le jour après des catastrophes majeures.
Gabriel Colletis est professeur d’Economie à l’Université de Toulouse 1. C’est un spécialiste des questions de compétitivité des systèmes productifs nationaux et de l’économie industrielle, entre autres. Il a également publié La France industrielle en question (La Documentation Française) et Les nouveaux horizons du capitalisme (Economica).
Parmi les derniers ouvrages chez Le Bord de l’eau : Plaidoyer pour une gauche populaire (Laurent Baumel, François Kalfon), Obamanomics : comment Barack Obama a réformé l’Amérique (Niels Planel).
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