Ioan Grillo : El Narco, la montée sanglante des cartels mexicains (Ed. Buchet-Chastel)
El Narco, figure malfaisante, immense, dont l’ombre plane sur les têtes de millions de Mexicains, avance inexorablement. L’organisation gangrène chaque jour un peu plus le pays qui l’abrite, repoussant inexorablement les frontières du crime organisé. El Narco, c’est l’histoire d’une appellation servant à désigner tout le trafic de la drogue au Mexique. Un nom générique, comme pour mieux marquer son insaisissable nature.
Il aura fallu près de dix ans d’enquête à Ioan Grillo, journaliste et spécialiste des cartels, pour livrer son témoignage. Un récit saisissant, passionnant, au cœur des trafics mais également près du cœur des victimes. Près des bourreaux aussi, qui ne se rendent pas toujours compte du mal qu’ils infligent à leur société. Ils, elles, ce sont ces millions de Mexicains qui voient leur pays sombrer et perdre la partie, depuis une dizaine d’années déjà.
Les origines du mal sont anciennes. Ioan Grillo replonge dans l’enfance d’El Narco afin d’en comprendre son ampleur actuelle, son évolution, « depuis ses racines au début du XXe siècle – quelques paysans dans les montagnes – jusqu’aux forces paramilitaires d’aujourd’hui ». L’on découvre alors l’histoire ces paysans isolés et belliqueux des montagnes du Sinaloa qui, dès la deuxième moitié du XXe siècle, se mirent à cultiver en masse le pavot, sous le régime de Porfirio Diaz. Les premières lois de prohibition en 1914 en provenance des Etats-Unis, bien loin d’enrayer la production, officialisèrent un peu plus l’existence des marchés noirs de la drogue. El Narco naît, El Narco grandit. Il connait une seconde jeunesse dans les années 1960 à travers les révolutions sociales en Occident et la consommation ouverte de psychotropes. Les paysans s’enrichissent. Ils se radicalisent aussi. On parle bientôt de narcos, ou narcotraficantes. Les Etats-Unis s’inquiètent. Nixon créé la DEA en 1976, persuadé de pouvoir tuer la bête à coup d’épandages et de destructions sur le terrain, en coopération avec les autorités militaires mexicaines. El Narco s’en nourrit. El Narco continue de grandir. Dans les années 1990, les trois principales mafias, celles de Tijuana, Ciudad Juarez et Golfe se réunissent, mais ne parviennent à s’entendre totalement pour se répartir le trafic de drogue. Furieuse, la bête El Narco entre alors dans une phase encore plus guerrière, avec de véritables escadrons paramilitaires qui s’entretuent. Les encobijados, ces cadavres enveloppés dans des draps et jetés sur la place publique, souvent accompagnés de messages menaçants, fleurissent dans les coins de rues du Mexique. Entre temps, ces multinationales du crime ont supplanté les cartels de Colombie. Le pays connaît une crise économique majeure en 1995. Payé en dollars, El Narco ne ressent rien, El Narco grandit un peu plus. Les problèmes économiques font exploser la violence dans les rues ; l’on ne compte plus le nombre de kidnappings, d’assassinats ou de brigandages. Les médias américains commencent enfin à percevoir le risque d’une narcoguerre de l’autre côté de leur frontière. En 2004, les Zetas, « composés d’anciens soldats des forces spéciales passés d’une « guerre contre la drogue » à une « guerre de la drogue » », paralysent la ville frontalière de Nuevo Laredo avec des tactiques ultra violentes ; l’opinion publique comprend alors que la guerre a effectivement commencé. Une conquête industrielle et militaire, du mauvais côté de la morale, qui n’estompera pas avant des années, si tant est qu’elle puisse être enrayée un jour.
Lorsque Felipe Calderón prend le pouvoir en 2006, la guerre contre El Narco est officiellement proclamée. Après quatre années de mandat, celle-ci aura fait 34 000 morts. Mais pour quels résultats ? Jusqu’à quel point ce mouvement narco-insurgé est-il ancré dans la société mexicaine ? Trafic et meurtres peuvent-ils s’allier avec un mouvement de foi ? Quel est l’avenir de cette guerre contre El Narco ?
Des mules aux industries clandestines, en passant par les conclaves des chefs de guerre et les assassinats en plein jour, l’industrie de la drogue effraie autant qu’elle désarçonne. Ioan Grillo livre un récit bien loin de tout sensationnalisme pour comprendre les ramifications des substances illicites au Mexique. Une enquête d’une grande valeur, minutieuse, historique et sociologique que l’on aura rarement l’occasion de voir dans les médias français.
Ioan Grillo est journaliste, écrivain et producteur de télévision à Mexico City. Il travaille avec les plus grandes chaînes internationales et suit depuis plusieurs années la vie des cartels au Mexique.
Parmi les derniers ouvrages chez Buchet-Chastel : La grande démolition. La France cassée par les réformes (Roland Hureaux), Bernardo Provenzano, le Parrain des Parrains (Clare Longrigg).
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