Jean-François Dufour : Made by China – Les secrets d’une conquête industrielle (Ed. Dunod)
Et si la Chine dominait déjà l’économie internationale ? Tandis que le pays pesait à peine 3% du PIB mondial en 2000, il en représente aujourd’hui 10%, accaparant ainsi la deuxième place du classement. Seuls les Etats-Unis restent loin devant. Mais, pour combien de temps encore ?
D’emblée, la préface de Philippe Clerc (Directeur de l’intelligence économique, de l’innovation et des TIC à l’Assemblée des chambres françaises) donne le ton : « La « guerre des capitalismes » décrite comme imminente en 2008 fait rage. Le capitalisme para-étatique, interventionniste, le capitalisme libéral, le capitalisme financier s’affrontent (…) Renversement des rapports de force : les « émergents » prennent l’avantage, et l’Occident si sûr de sa domination et de son excellence se prend à douter et risque de perdre pied ». L’avertissement, à la lumière de la longue crise de l’Etat connue en Europe, sonne particulièrement juste et ne manquera pas d’imprégner les campagnes présidentielles, en France ou ailleurs, dans les mois à venir. Il est vrai que la crise de l’Etat-providence, avec ses coûts exorbitants, la mauvaise gouvernance, l’endettement excessif et la désindustrialisation, poussent les gouvernements européens à des choix stratégiques exceptionnels, afin de rester dans la course à la mondialisation, là où d’autres pays, neufs, semblent pointer le bout de leur nez, sans grande souffrance. La Chine est sans conteste le pays étendard par excellence de ces nouvelles formes de capitalisme.
D’une certaine mesure, le pays récolte les fruits de décennies d’effort, valorisant les transferts technologiques désormais intégrés, prenant les pouvoirs économiques et financiers grâce à ses firmes omnipotentes (46 entreprises parmi les 500 majors mondiales, selon P. Clerc), jouissant d’un marché intérieur où la classe moyenne progresse chaque jour. Une grande erreur serait néanmoins de considérer que le pays est encore dans une phase d’imitation : il est déjà entré dans l’ère d’une économie d’innovation et de maîtrise technologique, et c’est ce que tente de démontrer Jean-François Dufour dans son ouvrage, en mettant le focus sur les divers secteurs phares de l’industrie chinoise.
Consacré au secteur de la confection, symbole par excellence de l’industrie chinoise, le premier chapitre donne pourtant un avertissement. Si les Chinois, à travers des marques telles que Youngor, Li Ning ou Peak, ont remonté la chaîne de production jusqu’à devenir des marques exportées, la tendance générale est plus mesurée. La plupart du temps, les producteurs cherchent simplement à dépasser leur simple rôle de sous-traitant, et à mieux occuper le territoire nationale, pas forcément le territoire internationale, chasse gardée des marques occidentales, réputée de meilleure qualité et plus prestigieuse dans l’imaginaire collectif.
Jean-François Dufour pointe ensuite le spectaculaire envol de l’industrie électronique en Chine, passé à 50-60% de la production mondiale en 2010. La remontée de filière s’avère y être un souci permanent, mais pas tout à fait relevé. Si des géants tels que HonHai (plus connu sous le nom de Foxconn), Compal, Quanta, Wistron ou Inventec jouent un rôle fondamental dans l’électronique (des usines de Foxconn sortent les iPads d’Apple, les Wii de Nintendo ou les PS3 de Sony par exemple), le gros problème de cette industrie est d’être encore cantonné à l’assemblage, là où les autorités préfèreraient les voir jouer en matière d’innovation ou de production des composants. Néanmoins, la volonté est bien présente. Lénovo, appuyé par Pékin, avait par exemple fini par racheter la division PC d’IBM en 2005 pour acquérir sa technologie, et par lancer le LePad, concurrent de l’Ipad afin d’entrer dans la course aux tablettes.
Côté électroménager ou télécoms, la Chine n’est pas en reste, avec des géants tels que Haier et Huawei, respectivement. La recherche permanente d’innovations est d’ailleurs flagrante pour le fabricant d’électroménager Haier, en témoigne la création de lave-linge sans lessive (procédé par électrolyse). L’idée, lancée en 2008, s’avèrera même être un flop car…trop en avance sur les préoccupations écologiques, les consommateurs n’en saisissaient pas l’importance de sa sortie.
Nonobstant les efforts consentis en matière d’innovation, le défi majeur demeure encore une fois la construction et la stratégie de marque, la pénétration de l’esprit du consommateur, qu’il s’agisse de groupes textiles, électroniques, électroménager ou télécoms.
Autre exemple de la réussite chinoise, et non des moindres : l’automobile. Jean-François Dufour note que « l’industrie automobile a enregistré un tournant historique en 2010, lorsque les Etats-Unis, berceau de la civilisation de la voiture, se font fait ravir la place de premier producteur mondial par la Chine ». L’on apprend ainsi que plus de 3,5 millions de véhicules sont sortis des usines de SAIC (Shanghai Auto Industrial Corporation), premier producteur automobile chinois, en 2010 ! Et l’auteur de préciser que « le déclin des Big Three (General Motors, Ford et Chrysler), qui ont longtemps dominé l’automobile mondiale (…), pourrait ainsi préluder à l’émergence à terme d’un Big Five, la dominant depuis cinq des grandes villes de Chine ».
Jean-François Dufour passe également en revue l’industrie ferroviaire avec ses premiers trains à grande vitesse (malgré de nombreux couacs en matière corruption ou de sécurité), l’industrie aéronautique avec la création de COMAC, constructeur censé concurrencer Airbus et Boeing, ou l’industrie pétrolière, avec l’émergence sur la scène internationale, au cours de la dernière décennie, de trois grandes compagnies pétrolières chinoises (CNPC, Sinopec, CNOOC).
L’ouvrage de Jean-François Dufour est particulièrement facile à lire, et très intéressant pour quiconque souhaite comprendre les rouages de la planification industrielle à la Chinoise. Les stratégies d’apprentissage, de joint ventures, de construction de marque ou d’expansion à l’internationale sont particulièrement éloquentes. Les exemples ne manquent pas, et l’on découvrira avec étonnement la multitude d’entreprises, largement appuyées par Pékin, tirant le pays vers les sommets de la production mondiale et une révolution industrielle constante.
Jean-François Dufour est à l’origine de nombreux ouvrages sur l’économie et la géopolitique de l’Asie, et est également éditeur du site www.chine-analyse.com.
Parmi les derniers ouvrages chez Dunod : Communication de crise et médias sociaux (Emmanuel Bloch), Psychologie du manager (Patrick Amar).
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