Judith Benhamou-Huet : Les artistes ont toujours aimé l’argent (Ed. Grasset)
Le risque de la toile de plus. Fine frontière sur laquelle se balade la main de l’artiste, parfois tenté par l’or qui découle de ses mains, aussitôt ravisé par l’exclusivité détachée de toute considération financière que commande son don. A partir de quelle somme, de quelle quantité de production se travestit le génie ? Quels rapports entretiennent les artistes vis-à-vis de l’argent ? Judith Benhamou-Huet, véritable experte du marché de l’art, livre dans son dernier ouvrage un éclaircissement précieux.
De Dürer à Picasso, en passant par Monet, Courbet ou Van Gogh, treize artistes sont passés au crible, démontant tour à tour le mythe de l’artiste irrémédiablement pauvre, dont la misère même devrait être l’étalon de la qualité. L’argent des artistes, dont le scintillement nous parvient aujourd’hui, reconnaissons-le, principalement par le truchement d’une petite boîte nommée télévision où les émissions sensationnelles se succèdent continuellement, brillait autrefois par d’autres canaux. Dürer, génie de la peinture, des gravures sur cuivre ou des gravures sur bois, auteur de l’éternel Melancholia, n’en était pas moins un maître absolu dans la promotion de son art. Ses gravures étaient ainsi produites en masse pour l’époque, et possédaient la double caractéristique lucrative de s’écouler au-delà des frontières de son atelier, comme des petits pains, popularisant son art, tout en étant façonnées par d’habiles artisans à qui il déléguait la tâche de production.
Comme le fait remarquer J. Benhamou-Huet, la valeur de l’argent ne réside pas uniquement dans sa quantité, mais également dans ce qu’elle procure. Qu’il s’agisse de Lucas Cranach au XVIème siècle ou de Jeff Koons au XXIème siècle, les deux artistes vivent proches de leurs mécènes. Tantôt en l’échange d’espèces sonnantes et trébuchantes, tantôt contre de grandes fêtes ou des évènements réservés à l’élite, auxquels ils ont le droit de participer. Lucas Cranach, en tant que peintre de la cour, non content d’être fourni en vivres et en habits, et jouissant d’un pécule indépendant de sa production, s’était vu offert un rôle diplomatique à part entière, lui permettant de voguer entre les différents royaumes d’Europe, asseoir son pouvoir et bien sûr, distribuer ses œuvres.
Les considérations mercantilistes des artistes sont parfois criantes, voire primaires. Edgar Degas, l’homme de la « nouvelle peinture », ne s’embarrassait pas lorsqu’il exposait ses besoins au marchand Paul Durand-Ruel, parlant d’ « une partie de sa production comme de « produits » d’ordre alimentaire : « Ah je vais vous bourrer de mes produits cet hiver et vous me bourrerez de votre côté d’argent. C’est par trop embêtant et humiliant de courir après la pièce de cent sous, comme je le fais. » », avouait-il le plus naturellement du monde.
Loin des simples anecdotes, J. Benhamou-Huet réalise un ouvrage éclairant, fourni et très agréable à lire. Un rapport artiste-argent que l’on aurait finalement tort de croire comme uniquement lié à l’ère moderne.
Judith Benhamou-Huet est une spécialiste reconnue des marchés de l’art. Elle est chroniqueuse aux Echos et au Point. Elle a notamment publié The Worth of Art: Pricing the Priceless (Ed. Assouline) et Global Collectors : Collectionneurs du monde (Ed. Phébus).
Parmi les derniers ouvrages chez Grasset : 21 rue La Boétie (Anne Sinclair), Mes conversations avec les tueurs (Stéphane Bourgoin).
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