La fin de la dictature des marchés ? (Ed. PUF)
Presque cinq ans après le début de la crise, la question de la culpabilité des marchés fait toujours débat. Lorsque certains voient en les banques de vils facilitateurs de crédits à risque ou des spéculateurs sur le bon dos du peuple, d’autres considèrent que les marchés ne sont finalement que des révélateurs errements politiques. Les subprimes, ces crédits hypothécaires destinés aux ménages les plus pauvres, symbolisent parfaitement cette ambiguïté. Faut-il voir en eux une invention dangereuse des banques, ou le fruit d’une politique exacerbée d’accession à la propriété prônée par l’administration US ? La crise des dettes souveraines résulte-t-elle de l’avidité des opérateurs de marché ou des mauvaises conduites budgétaires de la part de nos Etats ? Les questionnements sur les errances des marchés, sur leur rôle à venir et sur la façon de les réguler sont donc naturels.
A la racine de cette crise se trouve un très sérieux problème d’ « aléa moral », cette tendance que peuvent avoir certains acteurs économiques à prendre des risques excessifs. Les dérivés de crédit tels que les CDS (Credit Default Swaps) ont montré qu’un effet de levier trop puissant, une dérégulation totale et une absence de règles prudentielles pouvaient conduire à une spéculation massive, avec les conséquences que l’on connaît. Un tel phénomène a gravement remis en cause la théorie d’efficience et la capacité d’autorégulation des marchés. En titrisant les crédits et produits pourris pour mieux les répartir, dans l’ombre du hors-bilan et loin des yeux des régulateurs, le marché n’a rien dilué, il a même amplifié le risque systémique.
Bien que les problèmes dépassent désormais la simple sphère des marchés, certains partis politiques se sont rapidement mis à l’affut. L’étrange sentiment de revivre une forme de remontée populiste post-1929 peut nous parcourir aujourd’hui, avec la présence de débats décomplexés sur le protectionnisme ou la progression des partis radicaux (plus de 20% des intentions de vote en France, renaissance du Tea party aux Etats-Unis).
Autre innovation des marchés soulignée en tant qu’errance par l’un des auteurs : le trading haute-fréquence. Depuis quelques années sont en effet apparus des algorithmes capables d’exécuter des ordres de va-et-vient en une poignée de millisecondes. D’aucuns se rappelleront peut-être le frisson qui parcourut les places financières le 6 mai 2010, lorsque certaines valeurs se précipitèrent vers les abîmes de façon inexpliquée. Indice phare de la place américaine, le Dow Jones Industrial Average perdit ainsi près de 9% de sa valeur en un quart d’heure, avant de rebondir aussi vite qu’il n’était tombé. Selon Jean-Paul Betbèze, cette forme de trading est symptomatique de la montée en puissance des ingénieurs au sein des salles de marchés, mais ne représente en rien une modernisation de celles-ci. Cela aurait plutôt tendance à accroître la volatilité et les bulles.
Peut-on finalement parler de « dictature des marchés » ? Si les dérives incontestables, observées et observables, nourrissent de profondes réflexions quant aux nouvelles régulations à adopter, force est de reconnaître que certains maux sont plutôt à ranger du côté macroéconomique. Difficile de nier certaines anomalies pesantes telles que la décorrélation entre les niveaux de CDS et le risque réel de défaut souverain ou l’effet pro-cyclique des agences de rating. Mais les marchés ne punissent pas éternellement sans raison. Aux problèmes des dettes souveraines sont venues se greffer des perspectives de croissance faibles aggravant d’autant plus l’endettement, un risque de faillite étatique (Grèce), une désindustrialisation larvée, ou une certain laxisme pour ne pas agir rapidement contre les déficits (Italie, France)., même si certaines anomalies sont pesantes. Peut-être même que les marchés poussent à agir dans le bon sens, l’avenir le dira. L’auteur cite par exemple les efforts de compétitivité qui doivent être réalisés par l’Espagne ou l’Irlande, le « nettoyage » du système fiscal en France, les réformes structurelles nécessaires notamment au niveau des retraites (France, Italie), le décloisonnement de certaines professions (Grèce), la prise de conscience de la nécessité de contrôler davantage les budgets (Italie, Belgique…). Plus largement, l’absence de filet de sauvetage ou de stratégie claire de la part des membres de la zone euro ont été fustigées, sûrement à juste titre.
Le long de cet ouvrage, une dizaine d’auteurs se réunissent pour aborder les questions de la nécessaire régulation des marchés ainsi que des erreurs de considération fréquentes quant à a responsabilité de ces derniers. Certes, les dérives sont parfois flagrantes et dangereuses. Pour autant, les Etats ne doivent pas être exemptés de toute faute. Peut-être cette crise dessinera-t-elle les fondations d’un libéralisme corrigé.
Un excellent livre, qui servira surtout d’introduction à différents thèmes qui ont occuperont les débats d’économistes au cours des prochaines années.
La fin de la dictature des marchés ? est un cahier du Cercle des économistes. Le groupe de réflexion réunit une trentaine de penseurs, principalement des Chefs économistes, des professeurs et des dirigeants d’entreprises financières. Le présent ouvrage a été rédigé sous la direction de David Thesmar, professeur de finance à HEC et également auteur de La société translucide : Pour en finir avec le mythe de l’État bienveillant (Ed. Fayard).
Parmi les derniers ouvrages chez PUF : La génération Y (Olivier Rollot), Géopolitique de la France (Pascal Gauchon).
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