Philippe Herlin : France, la faillite ? Après la perte du AAA (Ed. Eyrolles)
« La dette de la France pour les Nuls », tel pourrait s’intituler ce livre, qui retrace avec clarté et précision les événements qui ont conduit la zone Euro au bord du gouffre et la dette à devenir un sujet majeur du débat politique, après plusieurs décennies d’opacité et de laxisme budgétaire. A moins d’avoir vécu en autarcie lors de ces deux dernières années, difficile en effet d’avoir échappé à la succession de sommets européens « de la dernière chance » cherchant à éviter le défaut de la Grèce, révélateur des fragilités intrinsèques de la monnaie unique et de ses risques de dislocation. A la suite de la crise des subprimes en 2008, qui consacre l’explosion d’une bulle de dette privée, c’est au tour des Etats de voir leur niveaux d’endettement grimper hors de tout contrôle et aux marchés de les rappeler à l’ordre, par l’intermédiaire des désormais fameuses agences de notation. S’ensuit un débat sur les bienfaits de l’euro, la valeur qu’il faut accorder à la sacrosainte note AAA, et en définitive sur la réelle souveraineté de l’État Français dans la conduite de sa politique.
Spécialiste du sujet à travers son blog, ladettedelafrance.fr, l’auteur s’attache en particulier au cas de la France. Après plusieurs décennies de relative stabilité dans la gestion des finances, c’est lors des années 70 que se mettent en place les bases de notre situation actuelle, jusqu’à la sentence de l’agence Standard & Poors qui retire à la France le 13 janvier 2012 son AAA. La loi de 1973 tout d’abord, qui interdit à la Banque de France d’acheter les obligations émises par l’État français et le contraint à se tourner vers les marchés pour se financer. Initialement conçue comme une incitation à la vertu, car l’État doit payer des intérêts d’au moins 3% à ses créanciers, elle conduit la France à abandonner une parcelle de sa souveraineté ; aujourd’hui 2/3 de la dette est entre les mains d’investisseurs étrangers, et le service de la dette représente à lui seul près de 45 milliards d’euros en 2011, soit le quart des recettes nettes. Deuxième élément déclencheur : le krach pétrolier, qui se traduit par l’apparition d’un phénomène nouveau, le chômage de masse couplé à une croissance molle. En réaction, le gouvernement Chirac adopte un budget « de relance », nettement en déficit. Depuis lors, aucun budget ne sera présenté en équilibre. Conséquence, à 100 milliards d’euros courants en 1980, le stock de dette a gonflé inexorablement pour atteindre aujourd’hui 1700 milliards.
Comme souvent lorsque l’on s’aventure sur les terres de l’économie, il convient avant de se lancer de définir avec précision les termes du débat. Si la communication politique fait état de déficit autour de 2 à 8%, il est en réalité bien plus élevé selon ce que l’on regarde. Depuis 1975 en moyenne, les recettes d’un budget comptent pour 80% des dépenses… soit un déficit de 20% ! Là où le bât blesse, c’est l’union dans l’irresponsabilité des gouvernements politiques, de droite comme de gauche, qui n’ont de cesse de rejeter la faute sur l’autre partie, tout en maquillant allégrement l’endettement des institutions publiques. On lit avec un certain effarement les subterfuges auxquels se livrent les hauts fonctionnaires pour « planquer » la dette au sein de structures parapubliques obscures et laisser les collectivités locales accumuler des dettes nécessaires aux financements de dépenses décentralisées.
La crise de l’euro a eu le mérite de révéler, avec violence certes, l’impossibilité de poursuivre plus en avant cette accumulation de dettes et la fragilité intrinsèque de la construction européenne, qui a doté des économies aux compétitivités différentes d’une monnaie unique. Si à court terme, l’euro a permis à des États moins compétitifs tels que la Grèce ou l’Irlande d’emprunter aux taux allemands, l’échéance ne fait qu’être repoussée, le problème de fond demeure. Une Zone Monétaire Optimale (ZMO), selon le prix Nobel d’Économie Robert Mundell, n’est viable qu’à trois conditions: mobilité de la main d’œuvre, interdépendance des économies, prédominances des dépenses publiques centralisées. Or la zone euro est loin de satisfaire à ces critères.
Face à ces événements exceptionnels, quels sont les scénarios à envisager ? La très orthodoxe BCE a renié le dogme allemand en rachetant directement des obligations d’États fragilisés, monétisant par là leur dette, ce qui revient à actionner la planche à billets et à rompre avec l’objectif de contenir l’inflation avant tout. Certaines idées agitées par les politiques comme autant de panacées, le retour au Franc, la dévaluation compétitive, laisser filer l’inflation sont à proscrire. Les méthodes utilisées par le passé ne sont plus valables aujourd’hui, dans une économie mondialisée, rappelle l’auteur avec un pragmatisme dénué de toute pensée idéologique. Retour aux fondamentaux : programme de réduction des dépenses de l’État, adopter la règle d’or proscrivant constitutionnellement le déficit budgétaire, adopter une vision consolidée de l’endettement de l’État et de ses institutions affiliées, et améliorer la transparence de l’Agence France Trésor qui gère la dette.
Enfin, pour les plus fortunés de nos lecteurs, vous trouverez quelques conseils pour mettre votre épargne en lieu sûr : investir dans l’or, l’immobilier, les terres agricoles, et plus inattendu, alimenter votre compte Paypal ! Une fois terminée la lecture de ce livre, plus d’excuses, vous serez incollables sur la dette. Un livre d’économie qui n’a rien d’aride et se lit avec facilité.
Philippe Herlin est chercheur en finance et chargé de cours au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM). Il est l’auteur de L’or, un placement d’avenir, et de Finance, le nouveau paradigme.
Parmi les derniers ouvrages chez Eyrolles : Les 7 clés du marketing durable (Elizabeth Pastore-Reiss), Les villes et les formes (Serge Salat, Françoise Labbé, Caroline Novacki).
Pour en savoir plus sur les nouvelles publications, rendez-vous directement sur le site des éditions Eyrolles.