Pour une approche équilibrée de la Chine

Comment approcher la Chine ?

unmurmuringly L’extraordinaire émergence de l’industrie chinoise, et sa mutation du statut de sous-traitant à celui de concurrent, constitue l’un des défis les plus importants pour l’économie européenne aujourd’hui. Pourtant, la réflexion que nécessiterait cette question cruciale est trop souvent altérée par une perception affective et euro – centrée. Celle-ci débouche, soit sur une sinophobie aussi injustifiable qu’inefficace ; soit sur une « sinolâtrie » aveugle et dangereuse. Il est grand temps que l’Europe rationalise sa perception de l’offensive industrielle chinoise – afin de pouvoir y répondre.

supernally Le premier des extrêmes, dans la perception de la progression chinoise aujourd’hui, est constitué par une sinophobie qui ne prend même pas la peine de se cacher, persuadée de son bien-fondé face à la violence, sociale et économique, de la concurrence chinoise.

Chubek Son aplomb n’empêche pourtant pas cette position d’être fondamentalement injustifiable. L’Europe reproche en effet aujourd’hui à la Chine de jouer sa carte dans une compétition économique internationale sans pitié … dont notre continent a fait le modèle de fonctionnement de la planète depuis le début du XIXème siècle. L’héritage du colonialisme, puis du néo-colonialisme occidental, rend difficilement crédible une condamnation de la Chine au moment où elle menace de nous supplanter dans la prééminence économique mondiale – même s’il est indéniable que le caractère démocratique de nos sociétés permet une évolution sur ces questions, que le système autoritaire chinois ne permet par contre pas.

Bien que portée parfois par des préoccupations progressistes, cette sinophobie a un fort relent néocolonial, qui voudrait que ce qui était acceptable de la part de l’Europe ou des Etats-Unis – une mise en coupe réglée de l’économie mondiale à son seul profit – soit inacceptable de la part de la Chine.

Et le poids de l’Histoire est encore plus lourd dans le cadre spécifique des relations sino – européennes. Accuser aujourd’hui la Chine d’être immorale, parce qu’elle inonde l’Europe de téléphones portables ou de chaussures à bas coûts, revient à oublier un peu vite qu’autour de 1840 ce pays fut forcé, par la même Europe, de s’ouvrir au commerce international. Et ce afin de permettre le trafic massif d’une drogue – l’opium – qui allait dévaster sa société pendant plus d’un siècle.

Les Européens peuvent choisir d’ignorer ce passé encombrant. Mais tout Chinois en a connaissance – le régime ne manque pas de le rappeler régulièrement. Dès lors, tout Chinois, même de bonne foi, peut difficilement prendre au sérieux des leçons de morale commerciale données par l’Europe – d’où l’inefficacité de la sinophobie.

A l’autre extrême du spectre des perceptions de la progression chinoise, on trouve ce qu’il est convenu maintenant d’appeler la « sinolâtrie ».

Cette position, qui consiste à voir dans le développement de la Chine une opportunité plus qu’une menace, au nom de la logique du marché, présente pour énorme problème son aveuglement. Elle est en effet incapable de voir une évidence aux conséquences pourtant considérables : dans la compétition globale dans laquelle elle est maintenant engagée, la Chine ne joue pas selon les mêmes règles que nous.

Une suffisance très européenne amène en effet les tenants de cette position à considérer que l’intégration de la Chine à l’économie internationale, se fait selon les règles que nous avons édictées, pour le fonctionnement de cette économie globalisée. Or il n’en est rien.

Là où l’Europe fonctionne, de plus en plus, selon la logique de la seule économie de marché, la Chine fonctionne selon celle de l’ « économie de marché socialiste ». C’est-à-dire une économie dans laquelle l’initiative des entreprises est libérée comme force motrice, mais dans laquelle le pouvoir politique garde un rôle de stratège ; et dans laquelle, surtout, ce pouvoir politique a gardé le contrôle d’une finance conçue comme un instrument au service de l’économie tangible – et non comme une ressource libéralisée, comme c’est le cas aujourd’hui en Europe.

Il résulte de la confrontation de ces deux modèles, une compétition très inégale pour les entreprises européennes, privées de soutien public et de financements de long terme, face à des concurrents chinois qui bénéficient pleinement de ces deux atouts.
La « sinolâtrie », qui voudrait laisser jouer les seules règles du marché dans la compétition avec les entreprises chinoises, est donc dangereuse, voire fatale, pour l’industrie européenne.

En conclusion, il paraît urgent que l’Europe comprenne que les Chinois ne sont ni des démons – sinon ceux que nous avons créé – ni des anges – sinon ceux que nous inventons pour les faire rentrer dans notre univers mental.

Ils sont simplement ce que l’on appelle des concurrents. Et des interlocuteurs que l’on doit aborder avec respect. Sans un mépris qu’ils ne méritent pas ; ni une naïveté qu’ils ne méritent pas non plus.

Jean-François Dufour est à l’origine de nombreux ouvrages sur l’économie et la géopolitique de l’Asie, et est également éditeur du site www.chine-analyse.com. Il a récemment publié « Made by China – les secrets d’une conquête industrielle » (Dunod, 2012).

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