Philippe Villemus : Le patron, le footballeur et le smicard (Ed. Dialogues)
Le débat fait rage… comme à chaque élection. Plutôt que de sombrer trop rapidement dans des débats idéologiques sur la valeur juste du travail et les rémunérations outrancières, pourquoi ne pas prendre le temps de la réflexion et s’interroger justement sur la formation de cette valeur économique ? Peut-on gagner mille fois le SMIC ? Jusqu’où vont les disparités ? Sont-elles justifiables ? Economiquement ? Socialement ? Philippe Villemus tente d’y répondre à travers son dernier ouvrage, Le patron, le footballeur et le smicard.
C’est qu’en France, la question des hautes rémunérations dans l’entreprise, chez les artistes ou les sportifs, semble assez douloureuse. Non seulement elles ont explosé depuis les années 1990, mais c’est surtout l’écart avec les travailleurs moyens qui ne cesse de se creuser, causant au passage des vagues d’indignation dans l’opinion publique. Au-delà des querelles partisanes, ce sont de véritables questions sur la « justesse » de ces rémunérations, sur l’utilité sociale et la formation de la valeur travail qui se posent.
Dans un premier temps, Philippe Villemus s’attèle à définir strictement ce que sont les rémunérations, qu’elles soient issus du travail, du capital ou des prestations sociales. Les adeptes de l’Histoire économique apprécieront ainsi les nombreuses références à la Grèce Antique, au servage ou à l’époque des Trente Glorieuses, servant à clarifier la construction progressive mais longue d’un salariat massif et d’un marché du travail organisé dans nos sociétés.
De façon générale, « les « très hautes rémunérations » concernent environ 1% de la population active française (…), cela représente environ 300 000 personnes en 2010 [qui] perçoivent plus de 125 000 euros bruts par an (100 000 euros net). En moyenne, ces privilégiés touchent 215 000 euros brut par an, soit près de neuf fois le salaire moyen français », note l’auteur, en s’appuyant sur un rapport1 de l’Insee. L’on dénombrerait finalement 133 000 Très Hauts Salaires (THS) issus du privé, dont 52 000 dirigeants et cadres d’état-major d’entreprises, 18 000 financiers et… à peine 1 000 sportifs. Les Très très hautes rémunérations, supérieures à 1 million d’euros, ne représentent, elles, que 0,01% de la population active. Mais au fur et à mesure que l’on descend cette « pyramide aux fondations d’argile (…) on trouve les souterrains de la précarité, voire de la pauvreté », comme le rappelle immédiatement Philippe Villemus.
Reprenant cependant la montagne par son sommet, l’auteur s’intéresse ensuite aux patrons. Force est de constater que, là aussi, la réalité peut cacher de nombreuses disparités. Qu’ont en commun un patron créateur de son entreprise, un patron patrimonial ayant par exemple hérité de son père, un patron salarié ayant gravi tous les échelons ou un patron parachuté par un camarade de Grande école ? C’est d’ailleurs cette dernière catégorie qui génère le plus de circonspection chez nos voisins étrangers.
Pendant longtemps, les rémunérations des grands patrons demeurèrent méconnues du grand public. Mais la fin des années 1990 et le début des années 2000 – avec l’éclatement sur la place publique des affaires Christophe Jaffré, Jean-Marie Messier, Antoine Zacharias ou Noël Forgeard, pour ne citer qu’eux, marquèrent un tournant décisif dans l’opinion. Les Français découvrent non seulement les rémunérations stratosphériques et le mélange des genres mais également ce système « mille-feuille », où s’empilent allègrement golden hello, « prime de rideau », salaire, variable, étrennes, intéressements, avantages en nature, stock-options, bonus, dividendes, jetons de présence, clauses de non-concurrence, parachutes dorés, retraites chapeaux…
Sur quarante P-DG du CAC 40, trente-sept [ont une retraite chapeau] de 1 million d’euros en moyenne par an. Cela représente cent vingt fois le minimum vieillesse (8 500 euros par an) et soixante fois la retraite moyenne des Français (16 000 euros par an) (…) Avec les retraites chapeaux, on frise, non pas l’indigestion, mais l’immoralité salariale. En effet, comment peut-on justifier d’avantages liés à une fonction quand on la quitte ? Pourquoi rémunérer les responsabilités quand on ne les assume pas ?
Philippe Villemus, Le patron, le football et le smicard, p.129
Si les raisons de l’envolée des rémunérations patronales sont multiples, le problème est que, si elles décollent souvent, elles n’atterrissent que rarement. La corrélation entre les cours de Bourse et l’évolution des émoluments patronaux est quasi-nulle. Elles sont également difficilement défendables. A ceux qui prétendent que les P-DG gèrent des milliers voire des centaines de milliers de salariés, l’auteur rétorque que dans la réalité, ils ne travaillent qu’avec une vingtaine de collaborateurs proches et quelques cadres. Ils créent certes de l’emploi à l’international, mais ont tendance à en détruire sur le territoire national. A l’inverse des footballeurs par exemple, il n’existe pas de marchés des P-DG où ceux-ci seraient plongés dans une concurrence féroce entre pairs. Quant à la fixation des rémunérations, celle-ci est bien souvent organisée par des conseils d’administration à la limite de la « consanguinité » selon l’auteur, où se mélange les mêmes « amis », d’une entreprise à une autre. Les chefs de petite entreprise se noient souvent corps et âme dans leur affaire, tandis que les grands patrons bénéficient généralement d’une cohorte d’assistants et jouissent de nombreux services. Il devient bien difficile, devant les nombreuses incohérences et fausses vérités du quotidien, de ne pas susciter une extrême méfiance, pour ne pas dire un certain dégoût, dans l’opinion publique.
Bien entendu, les footballeurs de haut niveau ne sont pas en reste. Leur monde est intéressant à plusieurs égards, en ce qu’ils forment un marché international, ultra-concurrentiel, et que leurs rémunérations sont assez facilement trouvables. L’on apprend ainsi qu’un joueur de Ligue 1 perçoit en moyenne 600 000 euros, « cinq fois plus que les joueurs de basket de Pro A (en moyenne 120 000 euros par an), six fois plus que les rugbymen (100 000 euros) et quinze fois plus que les handballeurs (40 000 euros) ». Entre salaire, variables selon objectifs, contrats d’image collectifs, contrats d’image individuels, primes de fédération et avantages en nature, les rémunérations des footballeurs atteignent aisément des millions, voire des dizaines de millions pour des personnages tels que David Beckham, Cristiano Ronaldo ou Thierry Henry. On est pourtant bien « loins » d’autres sports tels que le golf (Tiger Woods, 112 millions de dollars en 2009), la boxe (Oscar de la Hoya, 55 millions), ou le basket (Kobe Bryant, 34 millions).
Au-delà de leurs rémunérations, les footballeurs sont par ailleurs considérés comme de véritables investissements. Ils figurent au bilan, subissent des dépréciations, peuvent être cédés par des transferts, génèrent des revenus pour leur club en cas de victoire sportive ou simplement du fait de leur nom. Leur association à un grand club, comme « Zinédine Zidane – Real Madrid » est parfois synonyme de pactole. La majorité des clubs ont conscience que les meilleurs joueurs sont irremplaçables techniquement, est-ce réellement le cas chez les patrons ?
Outre les footballeurs, Philippe Villemus fait bien de rappeler que d’autres « stars » émargent à un plus d’un millions d’euros par an. Certains de nos chanteurs nationaux, acteurs, stylistes, animateurs vedettes ou traders des salles de marchés n’ont rien à envier aux experts du ballon rond.
Loin des langages abscons parfois prêtés aux économistes, Philippe Villemus livre dans son ouvrage une analyse limpide du travail et du monde fermé des très hautes rémunération. L’auteur étudie en dernier lieu les définitions de justesse dans la rémunération, d’utilité du travail et de rareté, afin de comprendre pourquoi nous sommes arrivés à créer ces écarts. Il avance également une série d’idées pouvant peut-être perfectionner le système tel que nous le connaissons. Les recherches, factuelles ou théoriques, sont toujours profondes et ne manqueront pas d’interroger le lecteur sur la société qui l’entoure. Un véritable manuel d’économie qui revêt une utilité particulière, débats sur les inégalités et élections obligent.
Philippe Villemus est professeur-chercheur au sein du groupe Sup de Co Monptellier. Il est également l’auteur de « Qui est riche ? » (Ed. Eyrolles) et « Délocalisations : aurons-nous encore des emplois demain ? » (Ed. du Seuil).
Parmi les derniers ouvrages chez Dialogues : Présidentielles : le quiz des promesses 2012 (Léo Pitte), Médiator 150MG : Combien de morts ? (Irène Frachon).
Pour en savoir plus sur les nouvelles publications, rendez-vous directement sur le site des éditions Dialogues.
1. « Les très hauts salaires du secteur privé », Michel Amar, Insee Première, n° 1288, avril 2010, Insee