La stratégie du « masstige » : peut-on associer marques de luxe et marques de grande consommation ?
Après s’être attiré la griffe de Karl Lagerfeld, Coca-Cola va prochainement collaborer avec Jean-Paul Gaultier pour habiller ses bouteilles. L’association entre grandes marques de consommation et marques de luxe, parfois qualifiée de « masstige » (néologisme issu de la contraction de « mass market » et « prestige »), semble faire des émules chez les professionnels du marketing. Jonas Hoffman, professeur à SKEMA Business School, répond à nos questions.
Le partenariat est gagnant-gagnant. Coca-Cola qui, il n’y pas si longtemps, était la cible de toutes les critiques avec McDonald’s, symbole des problèmes d’obésité dans plusieurs pays au monde (voir « Super Size Me »). La marque cherche aujourd’hui à prendre un autre virage : une marque cool, branchée, dans l’air du temps. Ceci symbolise l’extraordinaire capacité de transformation de Coca. Un des exemples les plus surprenants est le « Coke Studio » au Pakistan. Coca y est le vecteur de nouveaux talents musicaux dans un pays qui entretient des relations pour le moins houleuses avec les Etats-Unis, pays d’origine de la marque.
Les avantages sont multiples. J-P Gaultier est-il juste un créateur de mode ? Il serait plus juste de dire qu’il est, comme Karl Lagerfeld, une icône culturelle. Il devient une figure emblématique dans l’imaginaire collectif, il dépasse l’univers de la mode pour devenir un patrimoine français, l’emblème d’une France cool, créative, proche, chaleureuse. Et cela fait du bien dans le contexte économique morose que nous vivons.
Cela ne marche pas toujours, il faut qu’il y ait une cohérence entre les marques. H&M est un bon exemple dans ce sens. Elle s’est associée à plusieurs créateurs pour faire des éditions spéciales, notamment Karl Lagerfeld et Sonia Rykiel. Lorsque le créateur prend part à la collaboration, cela a souvent bien marché. Or, le partenariat avec Lanvin n’a pas été à la hauteur des attentes. Pourquoi ? Parce que c’est la maison qui était associée, pas Alber Elbaz. Cela s’est traduit par une collection avec des pièces trop chères pour la clientèle type d’H&M.
La question est délicate et nous pourrions ouvrir un débat sur les limites à ne pas franchir. L’interdiction des distributeurs de sodas et de friandises dans les écoles françaises montre un bel exemple de la nécessaire régulation des pouvoirs publics par rapport à l’action des marques.
Pour les marques, le souci est que le client actuel, et notamment la cible jeune et active, zappe sans arrêt. Donc, il faut aller là où cette attention réside. Les films, séries télévisées, se prêtent très bien à cela et le placement des produits représente une source non négligeable dans le financement de ces productions (pour un exemple extrême, même parodique, voir le film « Sex in the city 2 »). Investir dans la création de contenu est l’autre stratégie adoptée de manière croissante, par exemple via Youtube, des communautés de marques chez Facebook ou la création de comptes Twitter.
C’est un phénomène qui n’est pas nouveau. Déjà en 1956, Renault a demandé à Jacques Arpels, joaillier de Van Cleef and Arpels, de transformer le panel de bord de la Dauphine, un nouveau modèle, dans une œuvre d’art (cf Wikipedia). Il a néanmoins connu une accélération depuis les années 80.
Elle est très intéressante dans une logique de création de contenus mentionnée plus haut. Les marques, tels Cartier avec Odyssée ou Louis Vuitton avec son défilé à la Paris Fashion Week, commencent à faire des super productions destinées à attirer l’attention de leur clientèle pour qu’elle puisse ensuite être fidélisée via les réseaux sociaux. Louis Vuitton a un site web qui est un véritable univers LV et où on peut passer des heures. Burberry a franchi un palier intéressant avec son nouveau parfum Body : plus de la moitié du budget de lancement a été dépensé dans des médias en ligne. Et c’est dans ce contexte que Cartier a fait une odyssée pour présenter son passé, ses pièces phares, mais surtout son avenir et faire un clin d’œil aux marchés du luxe de demain, comme la Chine et l’Inde.
Jonas Hoffman est Professeur de Marketing à SKEMA Business School. Il est également l’auteur de « Luxury Strategy in Action » (Palgrave-Macmillan).